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Partie 1 : de la construction des images à la création d’emblèmes, des Gaulois à la fin de la Monarchie.

En demandant à une IA quel est le symbole de la France, la réponse fût la Tour Eiffel… A mon sens, la tour Eiffel symbolise Paris et encore dans sa version touristique, mais l’IA se fonde sur les recherches du monde entier, aussi, il paraît logique qu’elle soit associée au tourisme, à Paris.

J’ai donc mis ma mémoire en marche et parcouru l’histoire de France à la recherche d’une souvenir graphique, symbolique. Des Gaulois à nos jours, les images se succèdent mais surtout  le récit national se réécrit en permanence. Mais surtout, l’important nombre d’articles, d’ouvrages et de vidéos, n’illustrent pas les personnages par des représentations de leurs propres époques. Aussi, l’imagerie est trompée par les récits ultérieurs. Un long travail de recherche permet de retrouver les images des époques afin de mieux cerner la réalité de la construction des représentations.

Mais commençons ainsi, chez les Gaulois…

Sanglier gaulois

Carnyx, trompette qui annonce le combat.
Source : Claude Valette
Réplique de la broche Sanglier découvert à Soulac-sur-mer.
Source : Claude Valette

L'imagerie gauloise

La production visuelle de ce peuple est, on peut le dire, pauvre. Les représentations réalistes ne se sont produites que tardivement, déjà bien au contact des Grecs et des Romains, voir déjà sous la Gaule romaine, comme les pièces de monnaie et quelques représentations de déités. L’archéologie nous laisse beaucoup de dessins figuratifs, magnifiques courbes géométriques, des casques, des épées, et autres objets métalliques. Les images, qui semblent religieuses ou mythologiques, montrent beaucoup d’animaux : le cerf, le bélier, le cheval, le serpent, etc. Comme beaucoup de civilisations, les animaux sont très représentés et symbolisent des états d’esprit.
Sur les monnaies proprement gauloises, c’est le cheval qui domine. Les Gaulois sont réputés depuis des siècles comme d’excellents cavaliers, chez les Grecs. Ils ont même été recrutés comme mercenaires… Autre référence, le sanglier, pas tellement celui d’Obélix, mais plutôt celui des carnyx, la trompette qui annonçait l’arrivée des combattants. Des fragments ont été retrouvés en Gaule et au-delà en Grande-Bretagne. Mais c’est en Auvergne, centrale et importante dans ce que l’on sait de l’histoire des Gaulois, qu’un ensemble de plusieurs carnyx ont été retrouvés, dont un intacte.
Le carnyx figure une tête de sanglier stylisé : c’est un étendard sonore ! Le sanglier sera notre symbole pour cette période.

Mais que dire du coq gaulois alors ? Ça se passe un peu plus loin.

Aigle impérial

Illustration de l’aigle de la légion romaine. Source inconnue.

Passage sous les romains

Contrairement aux idées reçues et surtout à l’auto-propagande de Jules Césars, les Gaulois sont connus des Romains et pas forcément en mal. Le sac de Rome en -390 est resté un traumatisme dans l’histoire de Rome, qui a l’époque était une cité méconnue de la Grèce dominante dans la méditerranée. Son expansion, devenu l’immense empire que nous connaissons tous, est dû à une série de conquête d’une civilisation devenue rapidement une machine militaire. Jules César, pour concurrencer ses condisciples, a choisi de conquérir la Gaule et son récit est celui de sa gloire.
Et le coq Gaulois dans tout cela ? C’est en réalité une moquerie romaine via un jeu de mot entre « habitants de la Gaule » et « coq », en latin Galus pour les deux, qui donne ce sobriquet au Gaulois. Le sobriquet ressortira au temps de François 1er, par les Anglais qui s’en servent pour se moquer de l’arrogance du roi français. En réponse, le royaume en fera une figure de proue. Cependant, cet épisode est anecdotique et le royaume n’adopte pas le coq comme enseigne.
Le coq des clochers ? Le coq sur les clochers des églises n’est pas proprement français, on le trouve dans beaucoup de pays d’Europe. Il symbolise le jour, la sortie des ténèbres de la nuit et sert de girouette.

L’aigle romain et le coq nous allons cependant les retrouver à l’époque moderne et contemporaine. En attendant, place aux monarchies du moyen-âge.

Coq gaulois ?

Coq gaulois XIX-XXe, photo de Sonia-Fatima Chaoui

La chevelure mérovingienne

Monnaie mérovingienne : les germains se romanisent et se considèrent comme de l’Empire. Ils prennent le modèle romain pour leurs monnaies. La chevelure est cependant présente sur les faces portrait des souverains.

Anneau sigillaire de Childéric – le « Roi chevelu ». Source BNF / Gallica

Les Mérovingiens

L’Empire romain ne tient plus ses frontières, notamment face aux Germains dont il charge certains chefs de garder des territoires face aux invasions des autres tribus germaines. Par la suite, alors que les Empereurs se succèdent et que Rome est engluée dans les conflits de successions, les chefs de ces tribus prennent de plus en plus de responsabilités sur leurs territoires : leurs autorités se substituent au fur et à mesure à celle de Rome. Ces Germains se romanisent entièrement, s’allient ou se combattent et agrandissent leurs territoires. Nous entrons dans le moyen-âge de la féodalité.
L’histoire de France nous enseigne qu’une tribu en particulier est à l’origine de notre France moderne. Elle en porte le nom : les Francs, saliens en l’occurrence, installés dans l’actuelle Belgique. Leur roi, Clovis, est appelé à combattre les Visigoths, considérés comme hérétiques, et conquerra un vaste territoire, de la Belgique à une grande partie de la France actuelle.

Mais quel est leur emblème ?
On leur attribue la grenouille, l’aigle, l’abeille,… La grenouille est mentionnée comme étendard sur les boucliers des soldats de Clovis mais sans certitude. L’aigle est peu représentatif car il est présent dans toute la joaillerie d’Europe. L’abeille est restée dans l’histoire, surtout grâce à Napoléon, nous sommes donc loin dans le futur. Elle fait partie du trésor de Childéric, père de Clovis, qui a été retrouvé à Paris puis pillé et en partie retrouvé. L’art mérovingien est prolifique et magnifique; beaucoup d’animaux y sont représentés; les plantes aussi ornent les gravures. Mais rien ne se démarque plus qu’un autre, l’héraldique n’est pas encore en place et les symboles que l’on trouve gravés, dessinés ou sculptés, illustrent essentiellement la chrétienté et ses textes.

La chevelure symbole de puissance : c’est ce qui caractérise ces rois mérovingiens, la longue chevelure, symbole de leur puissance.

Trésor de Childéric

Une des abeilles du trésor de Childéric, repris par Napoléon.

Pièces du trésor de Childéric : abeilles (et/ou cigales selon les interprétations), tête de taureau, oiseaux (aigle).

Charlemagne et les Carolingiens

Les Mérovingiens s’enlisent et laisse l’opportunité aux Carolingiens de prendre le pouvoir. Charlemagne créé un vaste territoire sur une grande partie de la France et de l’Allemagne actuelles. Il établit sa capitale à Aix-la-Chapelle (Aachen située en Allemagne) et met en place beaucoup de réformes notamment culturelles, comme l’écriture aux caractères simplifiés. Sous son règne, de belles enluminures voient le jour et nous montrent les représentations visuelles de son époque.

L’aigle et le Lys ?
L’utilisation de l’aigle, pour l’empire germanique et du lys pour le royaume franc ne date pas de l’époque carolingienne. Les images créées avec ses symboles l’ont été des siècles plus tard, entre les XIIe et XVe siècle par les chroniqueurs soucieux de relater l’histoire dans une forme de continuité et facile à identifier pour leurs contemporains.
Dans le même état d’esprit que Grégoire de Tour rédige une généalogie des rois de France en 727, Liber historiæ Francorum, apparaît le roi Mérovée, grand-père de Clovis dont l’existence n’a jamais été mentionnée auparavant, tout comme un ancêtre encore plus ancien Pharamond, encore plus mythique! Et pour couronner le tout, on les fait passer pour des descendants des Troyens…

Charlemagne devient empereur faisant revivre l’idée de l’empire romain d’occident mais il ne souhaite pas son titre héréditaire et pour sa succession se conforme à la loi franque en partageant son territoire entre ses fils. Ses successeurs continueront de morceler le territoire, jusqu’à la dynastie des Capétiens.

Représentation royale dans son époque

Monnaie

Denier de Charlemagne : la face « Karolus » reprend l’image des empereurs de Rome, l’autre face le « temple chrétien » comme chez les mérovingiens.

Charles le Chauve, bible de Vivien, 846. Les représentations végétales/florales sur le cadre comme le trône ou la couronne, préfigure la fleur de lys mais elle ne se distingue pas telle quelle.

Représentation royale a posteriori

Blason Karolus Magnus, Charlemagne ou Charles Grand, réalisation du XIVe siècle : les blasons n’existaient pas à leur époque, ni la fleur de lys ni l’aigle n’étaient utilisés par les rois germains de l’ouest ou de l’est

« Sacre de Charlemagne » par Jean Fouquet entre 1455 et 1460, soit 600 ans plus tard… Charlemagne possède les attributs royaux des Capétiens.

Les Capétiens et la Fleur de Lys

A la mort de Louis V, la succession du royaume franc est voté parmi des prétendants issus des lignés franques en 987, c’est Hugues Capet qui l’emporte. Cette dynastie va durer jusqu’à la Révolution car les Valois et Bourbons sont tous des descendants d’Hugues Capet, et plus tard de Louis IX, alias Saint-Louis.
Le royaume Franc, qui deviendra le Royaume de France, puis la nation France, va adopter la Fleur de Lys sous fond bleu comme emblème.

D’où vient la Fleur de Lys ?
Elle n’est pas apparue subitement avec Hugues Capet, elle s’est imposée au fur et à mesure et, symbole catholique et précédemment utilisée dans les ornements royaux parmi d’autres. Elle est surtout devenue l’emblème royale au XIe siècle sous l’influence de Bernard de Clairevaux, alias Saint-Bernard.
De la voûte céleste au manteau à fleurs de lys : sous l’influence de Bernard, le manteau du roi prend l’aspect du manteau céleste, le ciel bleu où les étoiles sont les âmes sauvées. Les rois capétiens sont très pieux à cette époque où les énergies guerrières sont dirigées vers les croisades en terre sainte. Bernard propose que la fleur de lys représente les âmes royales dans la voute céleste mais pour l’église catholique, la Fleur de Lys représente la fécondité de la Vierge Marie (en soi, c’est un paradoxe, avouons-le…).

La Fleur de Lys, symbole royal
C’est donc le capétien Philippe II Auguste qui arbore pour la première fois la Fleur de Lys dorée sur fond bleu en 1179, bannière de croisade qui deviendra bannière tout cour de tous les rois de France jusqu’à la Révolution. C’est donc une fusion entre symboles d’église et de royauté qui s’est opéré.

Et le bleu apparaît en Europe
Pour l’anecdote, la couleur bleu n’est pas une couleur populaire en Europe, même les yeux bleus ne sont pas bien aimés. Le pourpre et l’or sont bien plus communs, surtout plus nobles. Comme le démontre grandiosement Michel Pastoureau, historien, le bleu a fait une longue conquête avant de devenir LA couleur de l’occident. Voir sa conférence en vidéo. Il apparaît en haut de l’affiche pour la première fois avec les capétiens.

Les capétiens et la conscience d’un état
L’idée d’un état centralisé, à la monnaie et la loi unifiée, derrière un roi au-dessus de la noblesse, centralisée sur sa capitale, Paris, naît aussi avec les capétiens directes. L’église en France abandonne la langue latine pour la langue romane, l’ancien français. Les successeurs, capétiens indirectes que sont les Valois et les Bourbons, continuerons ce concept d’état uniforme et centralisé jusqu’à la monarchie absolue qui conduira à la révolution.

Evolution de la Fleur de Lys

Couronnement d’Hugues Capet (941-996) en 987. Enluminure d’un manuscrit du XIIIe ou XIVe siècle, Paris, BnF, ms. français 2815, fol. 58v. La Fleur de Lys est justement absente de cette illustration tardive.

Apocalypse de Saint Sévère XIe – Belle illustration de la Voute Céleste étoilée qui participe à la création du manteau céleste à fleurs de lys de la monarchie.

Des derniers Capétiens aux premiers Valois, les représentations des souverains sont accompagnées des symboles royaux, la fleur de lys systématiquement.

Philippe IV Le Bel et sa famille : les derniers rois Capétiens directs. XIVe siècle. Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, Latin 8504.

Des derniers Valois au premiers Bourbons, l’imagerie royale change : le roi est montré dans des vêtements civiles, les symboles royaux, la fleur de lys toujours présente en fond, ou lors du sacre.

Noël Bellemare (vers 1495-1546) et François Clouet (vers 1515-1572). François Ier, entouré de sa cour, reçoit un ouvrage de son auteur Gouache rehaussée d’or sur vélin

A partir du 2e Bourbon, Louis XIII, le portrait royal reprend le manteau à Fleurs de Lys ajouté du manteau d’hermine, jusqu’au dernier monarque, Louis XVIII. Les portraits de ces souverains sont aussi en vêtement civile, de chasse, etc. Les attributs royaux ne sont plus systématiquement portés sur les portraits.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV en costume de sacre, 1702

Héraldique de la Fleur de Lys sur fond bleu céleste.

Fleur de Lys : la grande gagnante !

Le symbole de la Fleur de Lys sur fond bleu céleste est resté 700 ans l’emblème de la France, du moins de la monarchie, du moyen-âge à la Révolution; elle a été fixée grâce aux bannières des croisades. Elle n’est pas aussi universelle et intemporelle que l’on pourrait le croire, car nombres d’illustrations de l’histoire des souverains de France ont été réalisées a posteriori de leurs époques.
La Révolution française du XVIIIe et l’Europe des nations du XIXe ont réécrit leurs récits nationaux. En France, la République a gommé tout passé monarchique et chrétien de sa symbolique : à suivre dans la deuxième partie de notre histoire !

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